Née à Appleloosa lors de la Nuit Éternelle, Yldaen, comme elle se faisait appeler à l’époque par ses parents et ses proches, n’était pas issue de la plus riche des familles des environs. Si auparavant on vivait de l’agriculture, le froid et les ténèbres avaient bien changé les choses, et ce n’était alors qu’en faisant pousser des plantes très résistantes ou bien en serre que cela pouvait fonctionner. N’ayant que très peu de moyens, ils se tournèrent vers les cactus, peu nourrissants mais capable de survivre à des conditions extrêmes. De ceux-ci on faisait un brouet clair, certes immonde mais au moins un peu nourrissant… pas suffisamment.

S’en suivit donc une période très compliquée pour la famille de notre pouliche : tous vivaient presque sous le même toit, et avec si peu de nourriture la malnutrition était un problème courant. Combien de fois sont-ils allés voir les médecins ? Combien de fois ont-ils vendu un bien pour soigner l’un d’entre eux ? Combien de fois ont-ils vu les leurs malades ? Trop de fois. Si auparavant ils étaient quelque peu matérialistes, tout cela changea aux neuf ans d’Yldaen : ils vendirent le surplus, tout ce qui n’était pas de première nécessité, de la vinasse à la table en passant par les chaises. On se rabattit sur les coussins et tapis, certes peu confortables mais ne nécessitant pas une très grande place et surtout… ne valant rien. Le chauffage ? Trop compliqué, aussi un feu était dressé au centre de la grande salle aménagée dans la grange, et des tapis pendus sur les murs, au sol pour conserver la chaleur. C’était très pratique, et surtout cela permettait à chacun d’avoir un coin à lui dans la pièce, en plus de permettre d’organiser une petite cuisine. Pendant un temps il faisait frais, c’était compliqué à chauffer, mais au fur et à mesure il a été plus aisé de monter la température pour arriver à une chaleur printanière douce et surtout… propice à la pousse de quelques fruits, des baies.

Cette adaptation au climat et à se défaire des biens matériels avait ainsi permis à la famille d’aller mieux, d’ajouter un petit quelque chose à ce fameux brouet qui le rendait désormais goûteux et nourrissant. Ces instants troubles et ayant coûté cher à la santé de certains membres touchaient ainsi à leur fin, et permirent à la petite Yldaen et aux autres enfants de grandir sans trop d’embûches, à peu près correctement nourris, tandis que l’on décida d’agrandir la grange pour permettre de faire pousser plus encore, et de nourrir plus de gens des environs. L’idée plut assez et l’agrandissement se fit presque gratuitement grâce au soutien des autres personnes non touchées par cette famine qui rongeait la ville. On attribua même quelques espaces à d’autres familles, et ainsi naquit le Clan du Cactus, un petit groupe d’originaux désireux de rendre à Appleloosa son étincelle agricole. On y trouvait la famille d’Yldaen, composée de licornes érudites, et deux autres familles de terrestres qui avaient la force et le talent pour s’occuper des pousses. Comme une évidence, il fut décidé de replanter les graines données par les plantes originelles, de manière à garantir l’évolution de celles-ci vers quelque chose de peut-être plus adapté, plus nourrissant, ou simplement meilleur. Aux tâtons, ils essayaient de faire avancer les choses, et l’idée était remarquablement bonne au fond, si seulement ils ne s’était pas trompés…

Malheureusement dans les contes sombres d’Equestria, rien ne se passe comme prévu. Certes la nourriture abondait, mais sa qualité laissait à désirer, si bien qu’au fur et à mesure les pousses dégénéraient pour donner quelque chose sans goût, voire de mauvais. Certes nourrissants, mais immangeables et vénéneux, les fruits avaient muté au bout de seulement deux ans : on ne pouvait alors pas juger s’ils étaient tout de même bons ou non. La réponse ne s’est pas fait attendre… Un mal d’une étrangeté sans nom avait fait surface parmi le Clan ; tous ceux ayant mangé de ces fameuses baies tombèrent rapidement malade, sans que qui que ce soit ne sache quoi faire, les responsables du projet eux-mêmes cloués au lit dans l’incapacité de trouver un antidote. Une hypothèse fut faite concernant la “solution” à ces problèmes, comme quoi ça viendrait avec le temps… sauf que non, ça a duré deux semaines avant qu’il ne commence à y avoir des décès : cinq. Le chiffre grimpa ensuite dangereusement alors que d’autres guérissaient sans explication ; au final on déplora pas moins de dix-sept décès, dont huit enfants, un qu’Yldaen connaissait, mais elle allait bien.

Contrairement à ce qu’ont pu penser ses proches, elle n’a pas montré un quelconque signe de tristesse, à l’inverse elle semblait plus heureuse encore qu’avant. Soulagé, personne n’a osé mettre le sujet sur la table, puisque tous savaient que c’était une enfant sensible, peut-être un peu trop… Alors que nos familles se remettaient doucement au brouet clair, et que les moindres restes de baies furent incinérés, on nota que la pouliche allait anormalement bien. On s’intéressa beaucoup à cette histoire, et certains se mirent à penser qu’elle était devenue folle à cause de la maladie qui avait emporté son ami et quelques de ses proches, si bien qu’on en vint à lui poser des questions. Avec le plus grand tact imaginable, on l’aborda un jour en lui demandant ce qu’elle pensait de tout ça, de ce qu’il était arrivé. Certes, elle trouvait la situation très triste, se sentait désolée pour les défunts, mais à aucun moment elle ne précisa le décès de ceux qu’elle connaissait. On en vint alors à lui poser la question fatidique : quel était son ressenti pour ses proches ? Faisant la moue, elle déclara d’une voix guillerette qu’elle était “contente qu’ils ne l’aient pas quitté”, mais était déçue de ne plus pouvoir jouer avec eux.

Ce n’était pas la réponse attendue, très loin de là, et l’idée de sa démence devenait de plus en plus forte à mesure qu’elle parlait dans le vide, riait parfois sans raison apparente, ou bien souhaitait une bonne nuit à quelqu’un ou quelque chose dans son coin le soir. Heureusement pour elle, l’asile ne lui était pas destiné, non, puisqu’en plein milieu d’un repas elle le prouva : ce qu’elle voyait n’était peut-être pas une chimère. Sans raison aucune, elle leva sa corne dans le vide, avant de doucement la déplacer vers le chien de la maison, qu’elle toucha pour l’occasion d’une manière bien étrange, en faisant un petit cercle. Immédiatement, à la surprise générale, le chien dit “merci, Yldaen” avant de partir gambader quelques minutes, puis de revenir vers la pouliche qui recommença dans le sens inverse sous les yeux ébahis de l’assistance. Les plus érudits cherchèrent une explication à cet étrange phénomène pendant plusieurs jours, puis semaines, avant de revenir bredouilles vers la fascinante petite. Elle avait bien grandi depuis la période des baies, aussi d’une douce voix pas encore totalement forgée comme celles de toutes les pouliches d’une dizaine d’années dit-elle quelques petits mots ayant bien marqué son entourage : “je sais qu’ils sont morts, je les vois, et je peux les aider, comme pour Grimmy à qui j’ai prêté le corps de notre toutou.” Immédiatement ensuite, surprenant les autres, sa cutie mark apparût… et elle fut dès lors surnommée Lightbringer Soul.

Puis les années avancèrent lentement, les unes après les autres tendis qu’elle s’assagissait et apprenait à maîtriser ce talent. Elle était douée, et n’avait pas réellement besoin de quoi que ce soit d’autre que sa corne, son esprit vide et une ou deux heures de méditation de temps à autres. En plus d’être son talent, aider les âmes était sa passion et elle voulait la vivre pleinement, en plus de la développer. Lorsque la Nuit Éternelle prit fin, elle apprit même à se cacher de la lumière, chose qui lui avait valu quelques semaines de repos dès le premier rayon de soleil, le temps que ses yeux s’habituent à ce nouvel environnement tout éclatant. Seulement voilà, dès lors qu’elle l’a vu, elle a su que le Soleil Noir avait une sacrée influence sur elle. Elle voyait en lui un avenir sombre, très sombre, sans pour autant savoir pourquoi. Elle sentait une certaine tension, une électricité parmi les âmes, si bien que sa tâche devint difficile en ces temps de disgrâce. Elle ne comprit ce qui se préparait que quelques jours après l’apparition des créatures démoniaques de Phantom Lord.

Elle voulait se rendre utile, faire quelque chose pour avancer les choses, éclaircir la situation, apporter un peu de lumière aux esprits… et c’est ce qu’elle fit. Partout où il le fallait, action ou pas, que ce soit à Canterlot, Ponyville ou plus tard dans l’Everfree Forest, elle suivait pour apaiser les défunts morts au combat, ou des suites d’une bataille. Pour les vivants, elle ne pouvait rien faire, mais pour les “autres”, elle était capable d’aider. Ce comportement la mena tout droit dans des pièges complexes, où elle était bien contente d’avoir des mortels autour pour la défendre.

Un jour, alors qu’elle était à Canterlot pour tenter de libérer ceux tombés à la capitale, elle croisa une âme étrange, pure, qui ne semblait pas être reliée à quelque lieu que ce soit, pourtant elle se tenait là, dans la bibliothèque, ne voulant apparemment pas en sortir. C’était une licorne avant sa mort, et il semblait étrangement vieux, dans les quatre-vingt ans, mais aussi et surtout serein. Lorsqu’elle engagea la conversation, Yldaen n’eut pour seule réponse qu’un “ssscht, je lis”. Première fois qu’elle entendait un fantôme dire qu’il lit, elle se demandait même comment c’était possible pour lui de tourner les pages avant de voir qu'il utilisait sa magie, certes extrêmement peu puissante, mais suffisamment pour s'occuper d'un livre… elle en vint donc à discuter avec lui, à lui poser quelques questions, mais toujours en se heurtant à un mur. Puis, le voyant passionné par son bouquin, elle cita au hasard le fameux Vules Jernes, ce qui arrêta net le vieillard translucide qui tourna la tête vers notre jument.

« Tu lis Vules Jernes ?
- Oui, j’aime beaucoup, et surtout sa façon de décrire les choses, c’est à la fois joli et très imagé, dit-elle.
- Nous allons nous entendre, je crois. As-tu lu “le tour d’Equestria en 80 jours” ?
- Ah ça oui, il était excellemment écrit !
- C’est mon préféré… discutons, veux-tu ? »

Le passionné discuta ainsi des heures et des heures avec Yldaen, lorsqu’elle était libre, ou bien passait du temps à lire avec elle, par-dessus son épaule et à travers les pages. Petit à petit ils se lièrent d’amitié, et lorsqu’elle fut sur le point de partir la question de l’emmener en voyage se posa. Forte de l’expérience acquise, et ayant déjà ressenti les conséquences de ce qu’elle allait proposer, elle demanda tout simplement au fantôme du vieil homme s’il désirait l’accompagner avec un corps. Tout heureux de pouvoir quitter Canterlot avec quelqu’un de cultivé, il n’hésita pas un seul instant, et choisit ainsi un jeune chat à qui il pourrait emprunter son corps à durée… indéterminée, disons. Il choisit également un nom d’emprunt, et récupéra quelques livres pour la route, en plus de ceux qu’il était certain de découvrir avec elle.

Depuis, Lightbringer Soul et Cedhuun ne se quittent pratiquement jamais, discutent comme de bons amis, et partagent des aventures dans la seule idée de rendre la vie, ou plutôt la mort, des âmes plus agréable, et sereine. Qui sait ? Peut-être tombera-t-elle sur un moyen d’avoir un nouveau compagnon ? De tout coeur, elle croit en sa tâche, et espère apporter une once de lumière dans les contes sombres d'Equestria...